Comment ne pas être ému en regardant ces deux estampes de Chagall (1960) [1] consacrées au livre de Job, représentations qu’il ne faut surtout pas séparer. Nous passons ainsi avec ces deux portraits, du chapitre 3 où Job coup sur coup subit malheurs sur malheurs le frappant lui et ses proches, touchant sa maison et sa propre chair, ses enfants jusqu’à sa propre peau, au chapitre 42 où Job sort du cauchemar.
Entre temps.... un plongeon, un dialogue avec des amis totalement à l’ouest, une quête de Dieu jusqu’au septentrion, le désir d’un procès équitable avec le trés haut, la surprise d’une rencontre. Chagall saisit cette histoire en deux portraits, intimistes, simples, trés épurés, deux attitudes qui traduisent tout l’itinéraire intérieur et spirituel que Job a du parcourir.
« Job désespéré »
Dans cette première litho, Chagall décrit un "Job désespéré". L’obscurité l’entoure, il apparaît là profondément préoccupé, malade et triste, et sa main soutient sa tête ; il semble désemparé. Sa bouche est ainsi cachée par sa main comme si aucun mot ne pouvait sortir et exprimer ce qui le ronge à l’intérieur, comme si aucun mot ne pouvait décrire le désespoir intérieur. La tonalité de rouge sur fond noir qui part de la tête aux vêtements jusqu’au bout de la manche dans un cercle qui se ferme, tel un noeud, voilà l’homme noué qui se recroqueville sur lui même, un cercle qui se ferme, une histoire sans issue, une mort inéluctable, le corps se fait verdâtre jusqu’au fond de l’oeil. La main, relâchée à l’extrême, n’exprime aucune force, comme flasque et sans tenue ; elle se refuse à soutenir la tête. La tête penche, le regard se plonge dans les abîmes intérieurs.
La surprise de cette litho est à trouver dans cet ange en arrière, un ange trés féminin dans ses formes, mais ange tout de même avec ses ailes. Un ange bien présent mais dont Job ne peut saisir la présence. Un ange dans une drôle de posture, telle une parade qui invite à une rencontre quasi amoureuse, un visage serein a la limite de sourire, sans que cela ne trouble Job qui reste lui emmuré, impassible, dans la déprime la plus sombre. Lui qui se demande comment Dieu peut lui infliger les malheurs qui le touchent. Celle représentation de Chagall contrairement à d’autres, montre un Job profondément meurtri, mais il atteste la présence divine avec un ange qui se trouve ici en retrait mais bien présent. Si Job se sent seul, celui qui le regarde, voit que Dieu, lui, n’est pas trés loin. Voilà sans doute un message que les compagnons de Job aurait pu lui transmettre ce qu’ils ne feront pas.
« Job en prière »
A l’opposé, dans cette seconde lithographie le visage s’éclaire et s’ouvre dans une atmosphère plus claire où la lumière verte s’est débarrassée d’un noir pesant. Le vert de l’espoir, d’une confiance retrouvée. Une aura jaune qui habite le corps va jusqu’à irradier la barbe et la main. Le voilà saisit d’un voile blanc.
Le visage est plus grand, il s’est redressé, l’œil s’écarquille avec une pointe de blanc qui rend Job plus vivant. La bouche s’ouvre comme celui qui sort d’une longue apnée pour remplir ses poumons. Elle s’ouvre aussi sans doute pour laisser passer un cri si longtemps contenu. Le visage s’étonne presque de cet ange à porté de main. La main s’est inversée, elle accompagne de manière ferme une parole adressée à l’ange, lui qui invisible qu’il était derrière lui dans la première lithographie se trouve maintenant tout proche paré d’un blanc étincelant.
Job se trouve toujours dans un fond noir, les ténèbres sont toujours là, mais elles sont habitées, l’ange apparaît tel un astre dans la nuit. Job n’est donc plus seul, l’ange se fait proche, un dialogue intime devient possible avec la certitude d’une écoute dans un face à face hors duquel plus rien ne compte.
Job prie dans la nuit. Il prie Dieu de lui accorder l’indulgence pour ses amis.